Vous n'êtes pas votre mental
 
Le plus grand obstacle à l'illumination
L'illumination, c'est quoi ?
Un mendiant était assis sur le bord d'un chemin depuis plus de trente  ans. Un jour, un étranger passa devant lui. « Vous avez quelques pièces  de monnaie pour moi ? » marmotta le mendiant en tendant sa vieille  casquette de base-ball d'un geste automatique. « Je n'ai rien à vous  donner », répondit l'étranger, qui lui demanda par la suite: « Sur quoi  êtes-vous assis ? » « Sur rien, répondit le mendiant, juste une vieille  caisse. Elle me sert de siège depuis aussi longtemps que je puisse m'en  souvenir. » « Avez-vous jamais regardé ce qu'il y avait dedans ? »  demanda l'étranger. « Non, répliqua le mendiant, pour quelle raison ? Il  n'y a rien. » « Jetez-y donc un coup d'oeil », insista l'étranger. Le  mendiant réussit à ouvrir le couvercle en le forçant. Avec étonnement,  incrédulité et le coeur rempli d'allégresse, il constata que la caisse  était pleine d'or.
Je suis moi-même cet étranger qui n'a rien à vous donner et qui vous  dit de regarder à l'intérieur. Non pas à l'intérieur d'une caisse, comme  dans cette parabole, mais dans un lieu encore plus proche de vous : en  vous-même.
« Mais je ne suis pas un mendiant », puis-je déjà vous entendre rétorquer.
Ceux qui n'ont pas trouvé leur véritable richesse, c'est-à-dire la  joie radieuse de l'Être et la paix profonde et inébranlable qui  l'accompagnent, sont des mendiants, même s'ils sont très riches sur le  plan matériel. Ils se tournent vers l'extérieur pour récolter quelques  miettes de plaisir et de satisfaction, pour se sentir validés, sécurisés  ou aimés, alors qu'ils abritent en eux un trésor qui non seulement  recèle toutes ces choses, mais qui est aussi infiniment plus grandiose  que n'importe quoi que le monde puisse leur offrir.
Le terme « illumination » évoque l'idée d'un accomplissement  surhumain, et l'ego aime s'en tenir à cela. Mais l'illumination est tout  simplement votre état naturel, la sensation de ne faire qu'un avec  l'Être. C'est un état de fusion avec quelque chose de démesuré et  d'indestructible. Quelque chose qui, presque paradoxalement, est  essentiellement vous mais pourtant beaucoup plus vaste que vous.  L'illumination, c'est trouver votre vraie nature au-delà de tout nom et  de toute forme. Votre incapacité à ressentir cette fusion fait naître  l'illusion de la division, la division face à vous-même et au monde  environnant. C'est pour cela que vous vous percevez, consciemment ou  non, comme un fragment isolé. La peur survient et le conflit devient la  norme, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur.
J'affectionne la définition simple que donne Gautama le Bouddha de  l'illumination : il affirme que c'est « la fin de la souffrance ». Cela  n'a rien de surhumain, n'est-ce pas ? Bien sûr, comme telle, cette  définition est incomplète, car elle exprime seulement ce que  l'illumination n'est pas, c'est-à-dire qu'elle n'est pas souffrance.  Mais que reste-t-il quand il n'y a plus de souffrance ? Bouddha garde le  silence là-dessus et son silence sous-entend que c'est à vous de le  découvrir. Il retient une définition par la négative afin que le «  mental » ne puisse pas en faire une croyance ou un accomplissement  surhumain, un objectif qu'il vous soit impossible à atteindre. Malgré  cette précaution de la part de Bouddha, la majorité des bouddhistes  croient encore que l'illumination est l'apanage de Bouddha et non le  leur, du moins pas dans cette vie-ci.
Vous avez employé le terme « Être ». Pouvez-vous en expliquer la signification ?
L'être est LA vie éternelle et omniprésente qui existe au-delà des  myriades de formes de vie assujetties au cycle de la naissance et de la  mort. L'Être n'existe cependant pas seulement au-delà mais aussi au  coeur de toute forme ; il constitue l'essence invisible et  indestructible la plus profonde. En d'autres termes, l'Être vous est  accessible immédiatement et représente votre moi le plus profond, votre  véritable nature. Mais ne cherchez pas à le saisir avec votre « mental »  ni à le comprendre. Vous pouvez l'appréhender seulement lorsque votre  « mental » s'est tu. Quand vous êtes présent, quand votre attention est  totalement et intensément dans le présent, vous pouvez sentir l'Être.  Mais vous ne pouvez jamais le comprendre mentalement. Retrouver cette  présence à l'Être et se maintenir dans cet état de « sensation de  réalisation », c'est cela l'illumination.
Lorsque vous utilisez le terme « Être », faites-vous référence à Dieu ? Si oui, pourquoi n'employez-vous pas le terme « Dieu » ?
Le mot « Dieu » s'est vidé de son sens, car on en a abusé pendant des  millénaires. Je l'emploie parfois, mais avec parcimonie. Quand  j'affirme que le terme est galvaudé, je veux dire que certaines gens,  qui n'ont jamais ne serait-ce qu'entrevu le sacré ni même jamais eu le  moindre aperçu de l'infinie vastitude que le mot abrite, recourent à ce  terme avec grande conviction, comme s'ils savaient de quoi ils parlent.  Ou bien que d'autres personnes le rejettent, comme si elles savaient ce  qu'elles nient. Cet abus d'emploi a donné naissance, par l'ego, à  d'absurdes croyances, affirmations et illusions du genre « Mon ou notre  Dieu est le seul Dieu véritable et votre Dieu est faux » ou encore comme  le célèbre énoncé de Nietzsche : « Dieu est mort. »
Le mot « Dieu » est devenu un concept fermé. Dès qu'il est prononcé,  une image mentale se crée, qui n'est peut-être plus celle d'un vieux  patriarche à la barbe blanche, mais qui reste encore et toujours une  représentation mentale de quelqu'un ou de quelque chose qui se trouve en  dehors de vous. Qui plus est, inévitablement du genre masculin.
Ni le terme « Dieu », ni « Être », ni quelque autre expression que ce  soit ne peut définir ou expliquer l'ineffable réalité qu'abrite le mot  en question. En fait, la seule question importante à se poser est la  suivante : « Ce mot vous aide-t-il ou vous empêche-t-il de faire  l'expérience de ce qu'il désigne ? » Fait-il référence à cette réalité  transcendantale qui existe au-delà de lui-même ou s'emploie-t-il à tort  et à travers pour ne devenir rien de plus qu'une idée à laquelle votre  tête peut croire, qu'une idole mentale ?
À l'instar du terme « Dieu », le mot « Être » n'explique rien. Par  contre, il a l'avantage d'être un concept ouvert. Il ne réduit pas  l'infini invisible à une entité finie et il est impossible de s'en faire  une image mentale. Personne ne peut se déclarer être l'unique détenteur  de l'Être, car il s'agit de votre essence même et que celle-ci vous est  accessible immédiatement sous la forme de la sensation de votre propre  présence, de la réalisation de ce « Je suis » qui précède le « Je suis  ceci ou cela ».
Le pas à franchir entre le terme « Être » et l'expérience d'« Être » est donc plus petit.
Qu'est-ce qui nous empêche le plus de connaître cette réalité ?
C'est l'identification au « mental », car celle-ci amène la pensée à  devenir compulsive. L'incapacité à s'arrêter de penser est une  épouvantable affliction. Nous ne nous en rendons pas compte parce que  presque tout le monde en est atteint : nous en venons à la considérer  comme normale. Cet incessant bruit mental vous empêche de trouver ce  royaume de calme intérieur qui est indissociable de l'« Être ». Ce bruit  crée également un faux moi érigé par l'ego qui projette une ombre de  peur et de souffrance sur tout. Nous reviendrons plus en détail sur tout  cela.
Le philosophe français Descartes a cru avoir découvert la vérité la  plus fondamentale quand il fit sa célèbre déclaration: « Je pense, donc  je suis ». Il venait en fait de formuler l'erreur la plus fondamentale,  celle d'assimiler la pensée à l'être et l'identité à la pensée. Le  penseur compulsif, c'est-à-dire presque tout un chacun, vit dans un état  d'apparente division, dans un monde déraisonnablement complexe où  foisonnent perpétuellement problèmes et conflits, un monde qui reflète  l'incessante fragmentation du mental. L'illumination est un état de  plénitude, d'unité avec le Tout et donc de paix. C'est un état d'unité  avec la vie sous sa forme manifeste, soit le monde, et avec la vie sous  sa forme non manifeste, c'est-à-dire votre moi. Un état d'unité avec  l'être. L'illumination est non seulement la fin de la souffrance et du  perpétuel conflit en soi ou avec le monde extérieur, mais aussi d'un  épouvantable esclavage, celui de l'incessante pensée. C'est une  incroyable libération !
L'identification au mental crée chez vous un écran opaque de  concepts, d'étiquettes, d'images, de mots, de jugements et de  définitions qui empêchent toute vraie relation. Cet écran s'interpose  entre vous et vous-même, entre vous et votre, prochain, entre vous et la  nature, entre vous et le divin. C'est cet écran de pensées qui amène  cette illusion de division, l'illusion qu'il y a vous et un « autre »,  totalement séparé de vous. Vous oubliez un fait essentiel : derrière le  plan des apparences physiques et de la diversité des formes, vous ne  faites qu'un avec tout ce qui est. Et quand je dis que vous oubliez, je  veux dire que vous ne pouvez plus sentir cet état d'unité comme étant  une réalité qui coule de source. Il se peut que vous la croyiez vraie,  mais vous ne l'appréhendez plus comme telle. Une croyance peut certes  vous réconforter. Par contre, seule l'expérience peut vous libérer.
Penser est devenu une maladie et celle-ci survient quand les choses  sont déséquilibrées. Par exemple, il n'y a rien de mal à ce que les  cellules du corps se divisent pour se multiplier. Mais lorsque ce  phénomène s'effectue sans aucun égard pour l'organisme dans sa totalité,  les cellules prolifèrent et la maladie s'installe.
Le mental est un magnifique outil si l'on s'en sert à bon escient.  Dans le cas contraire, il devient très destructeur. Plus précisément, ce  n'est pas tant que vous utilisez mal votre « mental » ; c'est plutôt  qu'en général vous ne vous en servez pas du tout, car c'est lui qui se  sert de vous. Et c'est cela la maladie, puisque vous croyez être votre  mental. C'est cela l'illusion. L'outil a pris possession de vous.
Je ne suis pas tout à fait d'accord. C'est vrai que mes pensées sont  souvent sans objet, comme chez la plupart des gens, mais je peux encore  décider d'utiliser mon mental pour acquérir ou accomplir des choses.  C'est ce que je fais tout le temps.
Ce n'est pas parce que vous réussissez à terminer un jeu de mots  croisés ou à fabriquer une bombe atomique que vous savez vous servir de  votre mental. Ce dernier aime se faire les dents sur des problèmes,  comme les chiens le font avec les os. Voilà pourquoi il fait des mots  croisés et invente des bombes atomiques, alors que vous, l'Être, ne  portez intérêt ni à l'un ni à l'autre. Laissez-moi vous poser les  questions suivantes: « Pouvez-vous vous libérer du mental quand vous le  voulez ? Avez-vous réussi à trouver l'interrupteur qui le met hors  circuit ? »
Vous voulez dire arrêter complètement de penser ? Non, je ne réussis pas, sauf pour un instant ou deux.
Dans ce cas, le mental se sert de vous et vous vous êtes  inconsciemment identifié à lui. Par conséquent, vous ne savez même pas  que vous êtes son esclave. C'est un peu comme si vous étiez possédé sans  le savoir et que vous preniez l'entité qui vous possède pour vous. La  liberté commence quand vous prenez conscience que vous n'êtes pas cette  entité, c'est-à-dire le penseur. En sachant cela, vous pouvez alors  surveiller cette entité. Dès l'instant où vous vous mettez à observer le  penseur, un niveau plus élevé de conscience est activé et vous  comprenez petit à petit qu'il existe un immense royaume d'intelligence  au-delà de la pensée et que celle-ci ne constitue qu'un infime aspect de  cette intelligence. Vous réalisez aussi que toutes les choses vraiment  importantes - la beauté, l'amour, la créativité, la joie, la paix -  trouvent leur source au-delà du mental. Et vous commencez alors à vous  éveille.
Comment se libérer du mental
 
Lorsque quelqu'un va chez le médecin et lui dit qu'il entend  des voix, celui-ci l'enverra fort probablement consulter un psychiatre.  Le fait est que, de façon très similaire, presque tout le monde entend  en permanence une ou plusieurs voix dans sa tête et qu'il s'agit du  phénomène involontaire de la pensée que vous ne réalisez pas avoir le  pouvoir d'arrêter. Ce ne sont que monologues ou dialogues continuels.
Il vous est certainement déjà arrivé de croiser dans la rue des  déments qui parlent sans arrêt tout haut ou tout bas. En réalité, ce  n'est pas très différent de ce que vous et tous les gens « normaux »  faites, sauf que vous le faites en silence. La voix passe des  commentaires, fait des spéculations, émet des jugements, compare, se  plaint, aime, n'aime pas, et ainsi de suite. Ce que cette voix énonce ne  correspond pas automatiquement à la situation dans laquelle vous vous  trouvez dans le moment. Elle ravive peut-être un passé proche ou  lointain ou bien alors imagine et rejoue d'éventuelles situations  futures. Dans ces moments-là, la voix imagine souvent que les choses  tournent mal et envisage des résultats négatifs. C'est ce que l'on  appelle l'inquiétude. Cette bande sonore s'accompagne parfois d'images  visuelles ou de « films mentaux ». Et même si ce que la voix dit  correspond à la situation du moment, elle l'interprétera en fonction du  passé. Pourquoi ? Parce que cette voix appartient au conditionnement  mental, qui est le fruit de toute votre histoire personnelle et celui de  l'état d'esprit collectif et culturel dont vous avez hérité. Ainsi,  vous voyez et jugez dorénavant le présent à travers les yeux du passé et  vous en avez une vision totalement déformée. Il est fréquent que, chez  une personne, cette voix intérieure soit son pire ennemi. Nombreux sont  les gens qui vivent avec un bourreau dans leur tête qui les attaque et  les punit sans cesse, leur siphonnant ainsi leur énergie vitale. Ce  tyran est à l'origine des innombrables tourments et malheurs, ainsi que  de toute maladie.
Mais la bonne nouvelle dans tout cela, c'est que vous pouvez  effectivement vous libérer du mental. Et c'est là la seule véritable  libération. Vous pouvez même commencer dès maintenant. Écoutez aussi  souvent que possible cette voix. Prêtez particulièrement attention aux  schémas de pensée répétitifs, à ces vieux disques qui jouent et rejouent  les mêmes chansons peut-être depuis des années. C'est ce que j'entends  quand je vous suggère « d'observer le penseur ». C'est une autre façon  de vous dire d'écouter cette voix dans votre tête, d'être la présence  qui joue le rôle de témoin.
Lorsque vous écoutez cette voix, faites-le objectivement,  c'est-à-dire sans juger. Ne condamnez pas ce que vous entendez, car si  vous le faites, cela signifie que cette même voix est revenue par la  porte de service. Vous prendrez bientôt conscience qu'il y a la voix et  qu'il y a quelqu'un qui l'écoute et qui l'observe. Cette prise de  conscience que quelqu'un surveille, ce sens de votre propre présence,  n'est pas une pensée. Cette réalisation trouve son origine au-delà du «  mental ».
Ainsi, quand vous observez une pensée, vous êtes non seulement  conscient de celle-ci, mais aussi de vous-même en tant que témoin de la  pensée. À ce moment-là, une nouvelle dimension entre en jeu. Pendant que  vous observez cette pensée, vous sentez pour ainsi dire une présence,  votre moi profond, derrière elle ou sous elle. Elle perd alors son  pouvoir sur vous et bat rapidement en retraite du fait que, en ne vous  identifiant plus à elle, vous n'alimentez plus le mental. Ceci est le  début de la fin de la pensée involontaire et compulsive.
Lorsqu'une pensée s'efface, il se produit une discontinuité dans le  flux mental, un intervalle de « non-mental ». Au début, ces hiatus  seront courts, peut-être de quelques secondes, mais ils deviendront peu à  peu de plus en plus longs. Lorsque ces décalages dans la pensée se  produisent, vous ressentez un certain calme et une certaine paix. C'est  le début de votre état naturel de fusion consciente avec l'Être qui est,  généralement, obscurcie par le mental. Avec le temps et l'expérience,  la sensation de calme et de paix s'approfondira et se poursuivra ainsi  sans fin. Vous sentirez également une joie délicate émaner du plus  profond de vous, celle de l'Être.
Il ne s'agit pas du tout d'un état de transe, car il n'y a aucune  perte de conscience. Bien au contraire. Si la paix devait se payer par  une réduction de la conscience et le calme, par un manque de vitalité et  de vigilance, elle n'en vaudrait pas la peine. Dans cet état d'unité  avec l'Être, vous êtes beaucoup plus alerte, beaucoup plus éveillé que  dans l'état d'identification au mental. Vous êtes en fait totalement  présent. Et cette condition élève les fréquences vibratoires du champ  énergétique qui transmet la vie au corps physique.
Lorsque vous pénétrez de plus en plus profondément dans cet état de  vide mental ou de « non-mental », comme on le nomme parfois en Orient,  vous atteignez la conscience pure. Et dans cette situation, vous  ressentez votre propre présence avec une intensité et une joie telles  que toute pensée, toute émotion, votre corps physique ainsi que le monde  extérieur deviennent activement insignifiants en comparaison.  Cependant, il ne s'agit pas d'un état d'égoïsme mais plutôt d'un état  d'absence d'ego. Vous êtes transporté au-delà de ce que vous preniez  auparavant pour « votre moi ». Cette présence, c'est vous en essence,  mais c'est en même temps quelque chose d'inconcevablement plus vaste que  vous. Ce que j'essaie de transmettre dans cette explication peut  sembler paradoxal ou même contradictoire, mais je ne peux l'exprimer  d'aucune autre façon.
Au lieu « d'observer le penseur », vous pouvez également créer un  hiatus dans le mental en reportant simplement toute votre attention sur  le moment présent. Devenez juste intensément conscient de cet instant.  Vous en tirerez une profonde satisfaction. De cette façon, vous écartez  la conscience de l'activité mentale et créez un vide mental où vous  devenez extrêmement vigilant et conscient mais où vous ne pensez pas.  Ceci est l'essence même de la méditation.
Dans votre vie quotidienne, vous pouvez vous y exercer durant  n'importe quelle activité routinière, qui n'est normalement qu'un moyen  d'activer à une fin, en lui accordant votre totale attention afin  qu'elle devienne une fin en soi. Par exemple, chaque fois que vous  montez ou descendez une volée de marches chez vous ou au travail, portez  attention à chacune des marches, à chaque mouvement et même à votre  respiration. Soyez totalement présent. Ou bien lorsque vous vous lavez  les mains, prenez plaisir à toutes les perceptions sensuelles qui  accompagnent ce geste : le bruit et la sensation de l'eau sur la peau,  le mouvement de vos mains, l'odeur du savon, ainsi de suite. Ou bien  encore, une fois monté dans votre voiture et la portière fermée, faites  une pause de quelques secondes pour observer le mouvement de votre  respiration. Remarquez la silencieuse mais puissante sensation de  présence qui se manifeste en vous. Un critère certain vous permet  d'évaluer si vous réussissez ou non dans cette entreprise : le degré de  paix que vous ressentez alors intérieurement.
Ainsi, le seul pas crucial à faire dans le périple qui conduit à  l'éveil est d'apprendre à se dissocier du mental. Chaque fois que vous  créez une discontinuité dans le courant des pensées, la lumière de la  conscience s'intensifie. Il se peut même que vous vous surpreniez un  jour à sourire en entendant la voix qui parle dans votre tête, comme  vous souririez devant les pitreries d'un enfant. Ceci veut dire que vous  ne prenez plus autant au sérieux le contenu de votre mental et que le  sens que vous avez de votre moi n'en dépend pas.
L'illumination, c'est de s'élever au delà de la pensée
 
La pensée n'est-elle pas indispensable pour survivre en ce monde ?
Votre mental est un outil, un instrument qui est là pour servir à  l'accomplissement d'une tâche précise. Une fois cette tâche effectuée,  vous déposez votre outil. Je dirais ceci : telles que sont les choses,  environ quatre-vingt à quatre-vingt-dix pour cent de la pensée chez  l'humain est non seulement répétitive et inutile, mais aussi en grande  partie nuisible en raison de sa nature souvent négative et  dysfonctionnelle. Il vous suffit d'observer votre mental pour constater à  quel point cela est vrai. La pensée involontaire et compulsive  occasionne une sérieuse perte d'énergie vitale. Elle est en fait une  accoutumance. Et qu'est-ce qui caractérise une habitude ? Tout  simplement le fait que vous sentiez ne plus avoir la liberté d'arrêter.  Elle semble plus forte que vous. Elle vous procure également une fausse  sensation de plaisir qui se transforme invariablement en souffrance.
Pourquoi serions-nous des drogués de la pensée ?
Parce que vous êtes identifiés à elle et que cela veut dire que vous  tirez votre sens du moi à partir du contenu et de l'activité du mental.  Parce que vous croyez que si vous vous arrêtez de penser, vous cesserez  d'être. Quand vous grandissez, vous vous faites une image mentale de qui  vous êtes en fonction de votre conditionnement familial et culturel. On  pourrait appeler ce « moi fantôme », l'ego. Il se résume à l'activité  mentale et ne peut se perpétuer que par l'incessante pensée. Le terme «  ego » signifie diverses choses pour différentes gens, mais quand je  l'utilise ici, il désigne le faux moi créé par l'identification  inconsciente au mental.
Aux yeux de l'ego, le moment présent n'existe quasiment pas, car  seuls le passé et le futur lui importent. Ce renversement total de la  vérité reflète bien à quel point le mental est dénaturé quand il  fonctionne sur le mode « ego ». Sa préoccupation est de toujours  maintenir le passé en vie, car sans lui qui seriez-vous ? Il se projette  constamment dans le futur pour assurer sa survie et pour y trouver une  forme quelconque de relâchement et de satisfaction. Il se dit : « Un  jour, quand ceci ou cela se produira, je serai bien, heureux, en paix. »  Même quand l'ego semble se préoccuper du présent, ce n'est pas le  présent qu'il voit. Il le perçoit de façon totalement déformée, car il  le regarde à travers les yeux du passé. Ou bien il le réduit à un moyen  pour arriver à une fin, une fin qui n'existe jamais que dans le futur  projeté par lui. Observez votre mental et vous verrez qu'il fonctionne  comme ça.
Le secret de la libération réside dans l'instant présent. Mais vous  ne pourrez pas vous y retrouver tant et aussi longtemps que vous serez  votre mental.
Je ne veux pas perdre ma capacité d'analyse et de discernement. Je ne  suis pas contre le fait d'apprendre à penser plus clairement, de façon  plus pénétrante, mais je ne veux pas perdre ma tête. Le don de la pensée  est la chose la plus précieuse que nous ayons. Sans elle, nous ne  serions qu'une autre espèce animale.
La prédominance de la pensée n'est rien d'autre qu'une étape dans  l'évolution de la conscience. Il nous faut passer à l'étape suivante de  toute urgence. Sinon, le mental nous anéantira, car il est devenu un  véritable monstre. Je reparlerai de ceci plus en détail un peu plus  loin. Pensée et conscience ne sont pas synonymes. La pensée n'est qu'un  petit aspect de la conscience et elle ne peut exister sans elle. Par  contre, la conscience n'a pas besoin de la pensée.
Atteindre l'illumination signifie s'élever au-delà de la pensée, ne  pas retomber à un niveau situé en dessous de la pensée, soit celui du  règne végétal ou animal. Quand vous avez atteint ce degré d'éveil, vous  continuez à vous servir de votre pensée au besoin. La seule différence,  c'est que vous le faites de façon beaucoup plus efficace et pénétrante  qu'avant. Vous vous servez de votre mental principalement pour des  questions d'ordre pratique. Vous n'êtes plus sous l'emprise du dialogue  intérieur involontaire, et une paix profonde s'est installée. Lorsque  vous employez le mental, en particulier quand vous devez trouver une  solution créative à quelque chose, vous oscillez toutes les quelques  minutes entre la pensée et le calme, entre le vide mental et le mental.  Le vide mental, c'est la conscience sans la pensée. C'est uniquement de  cette façon qu'il est possible de penser de manière créative parce que  c'est seulement ainsi que la pensée acquiert vraiment un pouvoir.  Lorsqu'elle n'est plus reliée au très grand royaume de la conscience, la  pensée seule devient stérile, insensée, destructrice.
Essentiellement, le mental est une machine à survie. Attaque et  défense face à ses « congénères », collecte, entreposage et analyse de  l'information, voilà ce à quoi le mental excelle, mais il n'est pas du  tout créatif. Tous les véritables artistes, qu'ils le sachent ou pas,  créent à partir d'un état de vide mental, d'une immobilité intérieure.  Puis, c'est le mental qui donne forme à l'impulsion ou à l'intuition  créative. Même les plus grands savants ont rapporté que leurs percées  créatives s'étaient produites dans des moments de quiétude mentale. Une  enquête effectuée à l'échelle nationale auprès des plus éminents  mathématiciens américains, Einstein y compris, a donné des résultats  surprenants. Questionnés au sujet de leurs méthodes de travail, ils ont  répondu que la pensée ne « jouait qu'un rôle secondaire à l'étape brève  et déterminante de l'acte créatif lui-même ». Je dirais donc que la  simple raison pour laquelle la majorité des scientifiques ne sont pas  des gens créatifs, c'est qu'ils ne savent pas s'arrêter de penser et non  pas qu'ils ne savent pas comment penser !
Ce n'est pas la pensée, le mental, qui est à l'origine du miracle de  la vie sur terre ou de votre corps. Et ce n'est pas cela non plus qui  les sustente. De toute évidence, il y a à l'oeuvre une intelligence qui  est bien plus grande que le mental. Comment une seule cellule humaine  mesurant 1/2500 de centimètre de diamètre peut-elle contenir dans son  ADN des informations qui rempliraient un millier de livres de six cents  pages chacun ? Plus nous en apprenons au sujet du fonctionnement du  corps, plus nous réalisons le caractère grandiose de l'intelligence qui  est à l'oeuvre en lui et la petitesse de notre savoir. Lorsque le mental  se remet en contact avec cette réalité, il devient le plus merveilleux  des outils et sert alors une cause bien plus grande que lui.
Source : https://www.eckharttolle.fr/